Fiancée du chaos

Elle peint. Elle dit que sa peinture est une métaphore de la violence qu’elle ressent. Elle ne peint ni voiture brûlée, ni scène de guerre, ni autre vision trash de notre humanité qui n’en finit pas de se contenter d’être mélancolique… Non !

Elle peint. Sa peinture est abstraite. La peinture par essence, c’est abstrait, car la peinture, c’est ce que le peintre représente non du monde, mais de ce qu’il ressent de ce qu’il voit…

Que voit Delphine Epron ? Un chaos. La terre dans ses lignes de niveau de cartes topographiques – l’IGN mécène ? – la terre dans ses couches géologiques, la terre qu’un volcan crache, oui le magma, la terre pleine de sel, avec des marais salants évoqués d’un quadrillage, comme un code…

Son chaos ne fait pas peur, non qu’il soit « mode », le chaos ne peut pas être à la mode, presque par définition… Oui, la mode est une manière de se divertir pour échapper au chaos. Son chaos est poétique, océan de couleurs, de vagues de matière qui déferlent les unes sur les autres…

Pour le construire, elle a regardé celui des autres… Des peintres comme Kirkeby et Traquandi, dont elle parle et montre des reproductions d’œuvres avec le calme de celle qui sait bien qu’elle ne se trompe pas avec eux, ni ce qu’elle leur doit. Même si sa peinture n’est en aucun cas une imitation de ce qu’ils font, l’un ou l’autre. Non, l’inspiration est profonde.

Oui, construire son chaos. Il ne s’agit pas de laisser une énergie vous traverser et d’espérer qu’elle aille au bout du bras dans la main qui tient le pinceau et s’exprime… Et puis quoi encore ? Ça, c’est le cri primal. Un artiste dépasse ce stade, comme un comédien cisèle son émotion. Delphine Epron, qui est aussi menue que ses tableaux sont puissants, canalise la sienne, et lorsqu’elle vous parle – d’une voix forte – de son travail, ne l’embêtez pas trop pour qu’elle vous l’explique, même si elle est très gentille, car un(e) artiste n’a pas à expliquer son œuvre. Elle l’a faite, la fait, la fera…

Delphine Epron fait des grands et des petits formats, comme des morceaux des grands. Préférez les grands. Le chaos, ça n’existe qu’en grand. C’est un plongeon dans la matière. Un regard sur quelque chose qui ne fait que nous échapper, que nous voyons apparaître, et à nouveau s’enfouir à l’intérieur de nous-mêmes. Un regard sur notre âme.

Bruno de Baecque. Mars 2010
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