Des vagues de fleurs géantes en mouvement, puissantes et surréelles, submergent les toiles de Delphine Epron. Ses oeuvres aspirent le regard par les choix de leurs coloris si peu naturels. Ses plantes élancées et sensuelles sont capiteuses et nous plongent dans les langueurs érotiques du clair-obscur. Ses fleurs prennent toute la place, aucun vide n’est laissé sur la toile, elles semblent dégager des parfums enivrants, irrespirables à l’aube.
De temps à autre, une silhouette grise fantomatique apparait en transparence, c’est un papier gravé que l’artiste rajoute, comme un souvenir tenace, une ombre au tableau qui tente de se faire une place.
Delphine Epron travaille essentiellement des paysages fauves sous des soleils couchants, l’atmosphère est crépusculaire. Ses fleurs flamboient sous les derniers rayons, elles sont ouvertes, carnivores. Cette Nature n’existe pas dans nos contrées, semble venir du fond de l’Océan ou émerger d’un après Tchernobyl, lorsque la Nature pénétrée de radionucléides reprend ses territoires d’une manière gigantesque et folle.
A la fin des mondes, après l’ère nucléaire, la Nature reviendra peut-être en teintes excessives : pourpre, carmin, rose poupon, vert lourd, bleu passion, fuchsia.
Delphine Epron esquisse ses toiles au dessin avant de les travailler sur le sol avec des acryliques qui s’infiltrent dans les pores de la toile et contaminent les couleurs alentour. Ce sont des aplats, la profondeur vient des superpositions. C’est une peinture qui va au-delà des perspectives, elle est là comme une évidence, explosive dans ses coloris, mais douce dans ses formes. Elle peut rappeler Gauguin pour ses rondeurs. Kirchner ou Nolde par ses tons.
Dans son œuvre Shelter 1 (acrylique sur toile, 2023), une congrégation de fleurs colorées se pressent au premier plan, un genre de coquelicot à pétales hélicoïdaux est écartelé comme un sexe géant, des tulipes roses en érection le surplombent. Un personnage féminin bleu nuit, que l’on ne perçoit pas tout de suite, semble mitigé, entre peur et séduction, guettant les énormes tiges. Dans les hauteurs du tableau un navire trop loin quitte la toile, il n’y aura pas d’échappatoire.
Les oeuvres de Delphine Epron n’ont pas la légèreté décorative d’un Matisse, elles sont lourdes de sens cachés et loin d’être rassurantes. Différents plans se cumulent comme dans Paysage Bleu (acrylique sur toile, 2022), l’espace est saturé de bandes orange, rouge, violine, jaune et effectivement une bande bleue paraissant une rivière traverse la toile dans toute sa largeur. Une plante verdâtre en forme d’artichaut coupe l’espace dans sa hauteur. L’ensemble apparait comme une vision, un fascinant cauchemar. Ses paysages existent puissamment dans toutes leurs particularités, leurs originalités picturales.
Les petites céramiques de Delphine Epron sont toutes très différentes et très particulières, comme un défilé de petites extra-terrestres. Leurs formes et leurs couleurs ne ressemblent à rien de connu, elles sont le plus souvent épanouies et parfois servent de vase, elles sont charnelles tout en gardant une certaine pudeur, elles restent miniatures et légèrement plus pâles que les peintures. Elles sont, comme après s’être extraites de la toile, plus discrètes sous l’air ambiant et se serrent entre-elles, paraissent encore petites et sauvages.
Le talent d’un artiste se mesure à la puissance de son imaginaire, à la capacité de nous embarquer dans un autre monde. En ce cas, on vogue, ou peut-être dérive-t-on, avec Delphine Epron dans un univers hautement coloré, sous des paysages qui ne ressemblent à nul autre, attirants comme des voyages lointains qui nous rappellent que le plus fascinant reste l’inconnu.
Laurent Quénéhen, critique d’art, membre de l’AICA. Juillet 2024.